Etats-Unis : On bâillonne les critiques !

Polémia a souvent publié des articles de Paul Craig Roberts sur les Etats-Unis. Homme politique, universitaire, économiste, éditorialiste au Wall Street Journal, il a toujours eu une vue indépendante, très lucide et, parfois, prémonitoire, de la situation américaine, au niveau tant national qu’international. Paul Craig Roberts, ayant appartenu à l’administration Reagan, s’est violemment opposé à la politique du président Bush dont il a dénoncé les présentations fallacieuses pour justifier sa guerre en Irak. Il se livre ici à un ardent réquisitoire contre l’actuelle politique américaine et cite la toute récente éviction de Pat Buchanam de la chaîne MSNBC, commentateur politique  très apprécié des téléspectateurs.
Polémia

En 2010, le FBI envahissait les demeures de militants pour la paix de plusieurs Etats et saisissait leurs biens personnels. Champion des faux « complots terroristes », le FBI qualifiait cette opération d’enquête sur des « activités ayant trait au soutien du terrorisme ».

Des assignations à comparaître étaient délivrées aux manifestants anti-guerre pour les forcer à témoigner devant de grands jurys [aux Etats-Unis, jurys décidant de la mise en accusation, ndlr] tandis que des procureurs constituaient leur dossier d’accusation tendant à démontrer que s’opposer aux guerres d’agression de Washington constituait un soutien et un réconfort apporté aux terroristes. Ces raids et ces assignations à comparaître devant les grands jurys avaient pour but d’effrayer le mouvement anti-guerre pour le pousser à l’inaction.

Elimination de deux animateurs de télévision très populaires

La semaine dernière, d’un seul coup, les deux derniers critiques de l’impérialisme Washington/Tel-Aviv ont été éliminés des grands médias. L’émission populaire du juge Napolitano, Freedom Watch, a été annulée par Fox TV et Pat Buchanan a été évincé de MSNBC [chaîne câblée d’information en continu diffusée aux Etats-Unis et au Canada, ndlr]. Les deux experts jouissaient d’une grande audience et étaient très appréciés pour leur franchise.

Beaucoup soupçonnent le lobby israélien d’avoir joué de son influence auprès des publicitaires à la télévision pour réduire au silence ceux qui critiquent les efforts déployés par le gouvernement israélien pour mener Washington à la guerre contre l’Iran. Quoi qu’il en soit, le fait est que, maintenant, la voix des grands médias est uniforme. Les Américains n’entendent plus qu’une seule voix, un seul message, et ce message est de la propagande. La dissidence n’est tolérée que sur des sujets comme celui de savoir si les avantages santé offerts par les employeurs doivent couvrir les frais de contraception. Les droits constitutionnels ont été remplacés par les droits à la gratuité du préservatif.

Les médias occidentaux diabolisent ceux que Washington montre du doigt. Les mensonges sont déversés à foison pour justifier l’agression flagrante de Washington : les Talibans sont assimilés à Al Qaïda, Saddam Hussein possède des armes de destruction massive, Kadhafi est un terroriste et, pire encore, il a dopé ses troupes au viagra afin de violer massivement les Libyennes.

Téhéran ne fabrique pas la bombe

Le président Obama et les membres du Congrès, ainsi que Tel-Aviv, continuent d’affirmer que l’Iran fabrique une arme nucléaire alors que le fait est publiquement contredit par le ministre de la défense Leon Panetta et le National Intelligence Estimate (NIE) de la CIA. D’après les communiqués de presse, le chef du Pentagone Leon Panetta a déclaré aux membres du Parlement le 16 février que « Téhéran n’a pas pris la décision de développer une arme nucléaire ».

Néanmoins, à Washington, les faits ne comptent pas. Seuls les intérêts matériels de puissants groupes d’intérêt importent.

Contre l’Iran et contre la Syrie, même stratégie

En ce moment même, le ministère de la Vérité américain (*) partage son temps entre mentir à propos de l’Iran et mentir à propos de la Syrie. Récemment, il y a eu des explosions à des milliers de kilomètres en Thaïlande et l’Iran en a été rendu responsable. En octobre dernier, le FBI annonçait que ses services venaient de découvrir un complot iranien consistant à payer un vendeur de voitures d’occasion pour qu’il loue les services de trafiquants de drogue mexicains afin de tuer l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis.

Le benêt de service à la Maison Blanche affirmait qu’il croyait en ce complot invraisemblable et qu’il en possédait « de fortes preuves », mais aucune preuve ne fut jamais révélée. L’annonce de ce complot inexistant avait pour but de justifier les sanctions d’Obama, qui se traduisent par un embargo – acte de guerre – contre l’Iran accusé de développer son énergie nucléaire.

En tant que signataire du Traité de non-prolifération nucléaire, l’Iran a le droit de développer son énergie nucléaire. Les inspecteurs de l’AIEA sont en permanence en Iran et ne rapportent aucun détournement de matériel nucléaire au profit d’un programme d’armement.

En d’autres termes, d’après les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique, du National Intelligence Estimate et de l’actuel ministre de la Défense, il n’existe aucune preuve que l’Iran possède des armes nucléaires ou cherche à en produire. Pourtant, Obama a pris des sanctions illégales contre l’Iran et continue de menacer l’Iran d’une attaque militaire sur la base d’une accusation contredite par toutes les preuves connues.

Comment peut-on en arriver là ? Parce qu’il n’y a plus d’Helen Thomas, elle aussi éliminée par le lobby israélien, pour interroger, en tant que membre du bureau de presse de la Maison Blanche, le président Obama et lui demander pourquoi il a imposé des sanctions équivalant à un acte de guerre contre l’Iran alors que sa propre CIA et son propre ministre de la Défense, tout comme l’IAEA, rapportent qu’il n’y a aucun fondement à de telles sanctions ?

Les Etats-Unis, une démocratie ?

L’idée que les Etats-Unis sont une démocratie alors qu’il n’y existe certainement pas de presse libre susceptible de contrôler est risible. Mais les médias ne rient pas. Ils mentent. Tout comme le gouvernement, chaque fois que la presse américaine du Système ouvre la bouche ou écrit le moindre mot, c’est pour dire un mensonge. De fait, les maîtres du gros business paient leurs employés pour mentir. C’est leur boulot. Dites la vérité et vous êtes fini, comme Buchanan, Napolitano et Helen Thomas.

Ce que le ministère de la Vérité appelle « des manifestants pacifiques brutalisés par l’armée d’Assad », ce sont en fait des rebelles armés et financés par Washington. Washington a ourdi une guerre civile. Washington prétend que ses intentions sont de libérer de la férule d’Assad le peuple syrien oppressé et abusé, tout comme Washington a libéré de la férule de Kadhafi le peuple libyen oppressé et abusé. Aujourd’hui la « Libye libérée », terrorisée par les milices qui s’affrontent, n’est plus que la coquille de ce qu’elle était auparavant. Grâce à Obama, un pays de plus a été détruit.

Les rapports sur les atrocités commises contre les civils syriens par l’armée sont peut-être vrais, mais ces rapports proviennent des rebelles qui désirent que l’intervention de l’Occident les mette au pouvoir. De plus, en quoi ces victimes civiles se distingueraient-elles des victimes civiles du gouvernement du Bahreïn soutenu par les Etats-Unis, l’armée bahreïni ayant été renforcée par des troupes saoudiennes ? Dans la presse occidentale on ne trouve aucune protestation devant l’indifférence de Washington face aux atrocités commises par un de ses Etats marionnettes.

En quoi les atrocités commises en Syrie, si toutefois elles sont vraies, diffèrent-elles des atrocités commises par Washington en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, au Yémen, en Libye, en Somalie, à Abu Ghraïb, au centre pénitentiaire de Guantanamo et dans les prisons secrètes de la CIA ? Pourquoi le ministère de la Vérité américain garde-t-il le silence sur ces violations massives et sans précédent des droits de l’homme ?

Rappelez-vous également les rapports concernant les atrocités commises par les Serbes au Kosovo, utilisés par Washington et l’Allemagne pour justifier des bombardements de l’OTAN et des Etats-Unis sur les civils serbes, incluant même le bombardement du consulat chinois [il s’agit de l’ambassade de Chine à Bucarest, en 1999, ndlr], relégué comme étant un autre dégât collatéral. Aujourd’hui, treize ans plus tard, une importante émission de télévision allemande vient de révéler que les photographies qui ont déclenché la campagne d’atrocités avaient été grossièrement déformées et n’étaient pas des photos d’atrocités commises par les Serbes mais commises par des séparatistes albanais tués dans un combat entre Albanais et Serbes. On ne montra pas les victimes serbes.

Les médias mentent

Le problème auquel se heurte la vérité est que les médias occidentaux mentent sans arrêt. Dans les trop rares cas où les mensonges sont rectifiés, c’est toujours longtemps après l’événement et par conséquent les crimes rendus possibles par les médias ont été accomplis.

Washington a lancé sa marionnette, la Ligue Arabe, contre la Syrie afin d’isoler cette dernière de ses partenaires pour mieux l’attaquer. Assad a anticipé le piège destructeur de Washington pour son pays en appelant à un référendum national le 26 février afin d’établir une nouvelle constitution qui étendrait la possibilité d’un gouvernement au-delà du parti baathiste (le parti d’Assad).

On pourrait penser que, si Washington et son ministère de la Vérité voulaient vraiment la démocratie en Syrie, Washington soutiendrait ce geste de bonne volonté de la part du parti au pouvoir et approuverait le référendum. Mais Washington ne veut pas de gouvernement syrien démocratique. Washington veut un Etat marionnette. La réponse de Washington est que l’ignoble Assad a devancé Washington en prenant des mesures vers la démocratie syrienne avant que Washington ait eu le temps d’anéantir la Syrie et installer une marionnette.

Voici la réponse d’Obama à l’action entreprise par Assad en faveur de la démocratie : « C’est vraiment risible, c’est se moquer de la révolution syrienne », a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche Jay Carney à des journalistes à bord du Air Force One.

Obama, les néo-conservateurs et Tel-Aviv sont absolument furieux. Si Washington et Tel-Aviv peuvent trouver un moyen de contourner la Russie et la Chine et renverser Assad, ils traduiront celui-ci en justice comme criminel de guerre pour avoir proposé un référendum démocratique.

Assad était médecin ophtalmologiste en Angleterre jusqu’à la mort de son père et il fut rappelé pour diriger le gouvernement en proie à des difficultés. Washington et Tel-Aviv ont diabolisé Assad pour avoir refusé d’être leur marionnette. Un autre point sensible est la base navale russe de Tartous. Washington a très envie de chasser les Russes de leur unique base en Méditerranée afin de faire de la Méditerranée un lac américain. Washington, imprégné des visions néoconservatrices d’empire mondial veut sa propre mare nostrum.

La Russie minée par Washington

Si l’Union soviétique était toujours en vie, les vues de Washington sur Tartous seraient suicidaires. Mais la Russie est politiquement et militairement plus faible que l’Union soviétique. Washington a infiltré la Russie avec des ONG qui travaillent contre les intérêts russes et qui vont perturber les élections à venir. De plus, les « révolutions de couleurs » financées par Washington ont transformé d’anciennes parties composantes de l’Union soviétique en Etats marionnettes de Washington. Washington ne s’attend pas à ce que la Russie, sevrée de l’idéologie communiste, pousse le bouton nucléaire. Ainsi, la Russie est là pour être prise.

La Chine est un problème plus délicat. Le plan de Washington, c’est de couper la Chine de sources indépendantes d’énergie. L’investissement pétrolier de la Chine en Libye orientale est la raison pour laquelle Kadhafi a été renversé et le pétrole est une des raisons majeures pour lesquelles Washington a pris l’Iran pour cible. La Chine a beaucoup investi dans le pétrole iranien et elle importe 20% de son pétrole d’Iran. Fermer l’Iran ou en faire un Etat marionnette de Washington, c’est réduire l’économie chinoise de 20%.

La Russie et la Chine commencent à comprendre

La Russie et la Chine mettent du temps à comprendre. Toutefois, lorsque Washington et ses marionnettes de l’OTAN ont malmené la résolution de l’ONU sur « l’interdiction de survol » concernant la Libye et ont transgressé la résolution de l’ONU en en faisant une agression militaire armée contre les forces libyennes qui étaient parfaitement en droit de mater une rébellion sponsorisée par la CIA, la Russie et la Chine comprirent enfin qu’on ne pouvait pas faire confiance à Washington.

Cette fois, la Russie et la Chine ne tombèrent pas dans le piège de Washington. Elles mirent leur veto au traquenard du Conseil de sécurité de l’ONU prévoyant une attaque militaire contre la Syrie. Maintenant, Washington et Tel-Aviv (on ne sait pas toujours très bien qui est la marionnette et qui est le marionnettiste) vont devoir décider s’ils doivent ou non agir malgré l’opposition russe et chinoise.

Les risques pour Washington se sont multipliés. Si Washington agit, le message envoyé à la Russie et à la Chine signifiera qu’après l’Iran ce sera leur tour. Par conséquent, la Russie et la Chine, toutes deux bien équipées en armes nucléaires, ont de fortes chances de faire acte d’autorité avec plus de fermeté sur la ligne tracée à propos de l’Iran. Si les bellicistes fous de Washington et de Tel-Aviv, gorgés d’un orgueil et d’une arrogance démesurés, outrepassent l’opposition russe et chinoise, le risque d’une confrontation dangereuse augmente.

Pourquoi les médias américains ne posent-ils pas de questions à propos de tels risques ? Vaut-il la peine de faire voler le monde en éclats pour empêcher l’Iran d’avoir un programme d’énergie nucléaire, voire une arme nucléaire ? Washington croit-il que la Chine n’a pas conscience que Washington s’en prend à sa source d’énergie ? Washington croit-il que la Russie n’a pas conscience qu’elle est en train d’être encerclée par des bases militaires hostiles ?

A qui profitent ces guerres incessantes de Washington, qui coûtent des milliers de milliards de dollars ? Certainement pas aux 50 millions d’Américains qui n’ont pas de sécurité sociale, ni aux 1.500.000 enfants américains sans abri, vivant dans des voitures, dans des chambres de motels délabrées, dans des cités de tentes et dans les égouts de Las Vegas, alors que des sommes faramineuses de fonds publics sont utilisées pour renflouer des banques et sont dilapidées dans des guerres d’hégémonie.

Les Etats-Unis n’ont aucune presse écrite ou télévisuelle indépendante. Ils n’ont que des pressetituts [jeu de mots sur « instituts de presse » et « prostituées », ndlr) payés pour mentir. Dans la poursuite de ses objectifs immoraux, le gouvernement américain a atteint le statut du gouvernement le plus corrompu de l’histoire humaine. Pendant ce temps-là, Obama parle comme si Washington était les fonts baptismaux de la moralité humaine.

Le gouvernement américain ne représente pas les Américains. Il représente quelques intérêts particuliers et une puissance étrangère. Les citoyens américains ne comptent tout simplement pas, et il est certain que les Afghans, les Irakiens, les Libyens, les Somaliens, les Yéménites et les Pakistanais ne comptent pas non plus. Washington considère la vérité, la justice et la pitié comme des valeurs dérisoires. L’argent, le pouvoir, l’hégémonie, voilà tout ce qui compte pour Washington, la ville sur la colline, la lumière des nations, l’exemple pour le monde.

Paul Craig Roberts
Global Research.ca
20/022012

(*) ministère de la Vérité : allusion à 1984 de George Orwell

Titre original : Silencing The Critics
Traduction : René Schleiter pour Polémia

Les intertitres sont de la rédaction

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Correspondance Polémia – 29/02/2012

Image : Pat Buchanan, (né le 2 novembre 1938 à Washington, D.C., États-Unis), est un journaliste et un homme politique américain, commentateur politique sur la chaine MSNBC, dont il vient d’être évincé, cofondateur du magazine The American Conservative et cofondateur de la fondation paléo-conservatrice The American Cause. Il a été conseiller politique des présidents Richard Nixon, Gerald Ford et Ronald Reagan,

Paul Craig Roberts